Covid-19 : une exception thaïlandaise ?

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Covid-19 : une exception thaïlandaise ?

Pays à la démographie similaire à la France, la Thaïlande a depuis le début de la pandémie un bilan moins lourd que nombre de pays occidentaux. Tentative d’analyse.

Depuis l’apparition du coronavirus en Chine en décembre 2019, nombreux sont les regards qui se sont tournés vers la Thaïlande. En effet, la Thaïlande est l’une des destinations privilégiées des touristes chinois. Or, si beaucoup de pays sont pleinement touchés par le virus, la Thaïlande a affiché des statistiques très surprenantes.

Attention : Cet artcile est sorti en avril 2020. De nombreuses évolutions se sont succédées depuis deux ans (variants, campagnes de vaccination, etc.). Il n’en demeure pas moins que les statistique présentées encore aujourd’hui par la Thaïlande demeurent très interressantes et n’en diminunent pas pour antant la réflexion ci-dessous.

Des chiffres étonnants

Si depuis la fin mars, la Thaïlande voit le nombre de personnes contaminées augmenter, il n’en demeure pas moins que les chiffres officiels sont très étonnants. Ainsi à la date du 10 avril 2020, on dénombrait dans le pays 2423 personnes ayant contractées le covid-19, dont 940 totalement rétablies et 32 décès, là où l’Europe en comptait déjà des milliers.

D’autres pays de la région affichent également des chiffres singuliers. Que ce soit le Cambodge, le Laos ou le Myanmar, le nombre de personnes touchées par le Covis-19 est peu important au regard des pays occidentaux. Nous souhaitons ici nous centrer uniquement sur la Thaïlande. La raison est simple, nous y vivons, nous y avons des repères et surtout la Thaïlande possède en matière de statistiques de nombreux études consultables.

Normalement face à aux chiffres thaïlandais portant sur les effets du Covid-19, on constate deux réactions. La première est une remise en question des chiffres officiels. La seconde tente des explications afin de trouver une raison à ces chiffres très bas si on les compare aux pays occidentaux.

C’est cette deuxième voie que nous allons suivre. Pour cela, nous allons essayer d’objectiver au maximum ce sujet par le jeu de comparaisons. Les données utilisées sont toutes consultables. La seule chose que nous essayons ici est d’émettre des pistes en rapport avec des corrélations qui pourraient chacune à leur manière donner une explication à ces chiffres si singuliers. Pour ce faire, nous allons aborder succinctement les questions d’ordre biologique, culturelles et environnementales.

Les données biologiques - Les groupes sanguins

Depuis quelques semaines, plusieurs journaux ont cité une étude chinoise menée par plusieurs chercheurs des universités de Shenzhen et de Wuhan. Cette étude suggère  une corrélation possible entre les groupes sanguins et les risques éventuels de contamination par le covid-19. Cette étude n’a pas encore été validée par un comité scientifique, mais il en ressort quelques points intéressants concernant notre sujet.

Que ce soit à Wuhan ou à Shenzhen**,** il s’avère que :

les personnes du groupe sanguin A avaient un risque « significativement » plus élevé d’être infectées par le Covid-19. A l’inverse, celles de groupe O présentaient, elles, un risque « significativement » plus faible. (source ici)

Si cette étude établit une corrélation significative entre le groupe sanguin et le risque potentiel de développer des formes sévères de la maladie, il est donc pertinent de regarder la répartition des groupes sanguins selon les pays - ici la France et la Thaïlande.

Répartition des groupes sanguins selon le pays - source ici

Groupes sanguinsFranceThaïlande
O+36%40.8%
A+37%16.9%
B+9%36.8%
AB+3%4.97%
O-6%0.2%
A-7%0.1%
B-1%0.2%
AB-1%0.03%

Avec ces données, on se rend compte que la répartition entre les deux pays présentent des différences majeures :

La France a majoritairement deux groupes sanguins qui prévalent le O+ et le A+. A l’inverse, la Thaïlande a une population qui est majoritairement O+ et B+. Les différences sont plus que notables entre chaque groupe.

Ainsi, la population thaïlandaise se caractérise avec respectivement 4 points de plus pour le O+ et surtout de 25 points de plus pour le B+.

Mais l’élément le plus important concerne surtout la différence pour le groupe A+. Les français ont plus de deux fois plus de A+ que les thaïlandais. Or, c’est ce groupe qui a le plus de risque d’être infecté par le covid-19. Le groupe sanguin apparait ici comme un facteur qui pourrait être significatif dans l’explication du nombre de personnes contaminées et développant des symptômes graves.

Le groupe sanguin est du moins une piste … En effet, il  existe d’autres facteurs qui peuvent également entrer dans le faisceau expliquant les chiffres thaïlandais sur le Covid-19. Les variables culturelles et environnementales doivent également être prises en compte.

Covid-19

Les données culturelles

Dans ces données culturelles, nous allons distinguer les questions relatives à la démographie, à l’alimentation et l’hygiène de vie et surtout aux méthodes prophylactiques.

Les questions démographiques

On l’oublie souvent, mais la démographie demeure un facteur important dans l’explication du nombre de décès ou de contaminés. Évidemment le Covid-19 touche toutes les classes d’âge, mais les personnes âgées sont largement surreprésentées dans le nombre de personnes contaminées. Il parait donc intéressant d’observer quelques chiffres pour comprendre la démographie des deux pays.

Les données brutes des plus de 60 ans :

  • en France les chiffres de l’Insee 2019 montrent que les personnes ayant entre 60 et 79 ans représentent 20.1 % et les personnes ayant plus de 80 ans 6 % de la population totale.
  • en Thaïlande, les statistiques sont moins précises, les personnes ayant plus de 60 ans représentent 14.2 % de la population totale.

covid 19 populationaged thailand

L’écart entre les deux pays est significatif puisqu’il y a une différence de 12 points (presque le double). Or plus l’âge augmente, plus le nombre de polypathologie augmente aussi. Les populations sont plus fragiles et donc accentuent les risques de décès.

Cependant, si la Thaïlande est un pays vieillissant avec une natalité en baisse, il n’en demeure pas moins que les personnes âgées sont, à toute mesure gardée, moins touchées par le covid-19. Face à ce constat, on peut émettre deux hypothèses :

La solidarité ou la prise en charge des personnes âgées

Au-delà de la différence du nombre de personnes âgées, il est nécessaire de remarquer que la prise en charge de cette population diffère totalement entre les deux pays.

En effet, en schématisant on retrouve ici les deux grands types de solidarité de la sociologie durkheimienn. D’un côté, un système thaïlandais qui s’appuie sur une solidarité mécanique. Les familles prennent en charge les personnes âgées.

De l’autre, un système plus organique, les familles délèguent à l’État et à différentes institutions la prise en charge des anciens comme dans les Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Pour rappel, la moyenne de lit dans un Ehpad est de 70. Du coup, les infections comme le Covid-19 peuvent toucher plus facilement un plus grand nombre de personnes. Les modes de propagation profitent de cette concentration d’individus fragiles qui transforme l’institution en incubateur. La probabilité de contamination est donc multipliée.

La répartition des classes d’âge selon les zones urbaines

En Thaïlande, la très grande majorité des personnes âgées se trouve peu à proximité des grandes zones urbaines ou du moins des zones avec une forte densité humaine comme Bangkok. Les villes concentrent essentiellement des populations actives et les personnes âgées sont peu visibles dans ces espaces.

De fait, de par leur éloignement des centres urbains, cette population à risque se retrouve préservé des principaux foyers de contamination. A l’inverse en France, la plupart des Ehpad ou de maison pour senior sont essentiellement dans la périphérie des villes.

Culture et hygiène de vie

2 éléments sont à prendre en compte ici : l’alimentation et la consommation de tabac. Chacun à leur manière constitue des variables déterminantes dans la probabilité de développer des formes sévères de la maladie.

L’alimentation

Le but ici n’est pas de juger les différents types de consommation alimentaire, à savoir qui a le meilleur régime entre les deux pays. La question n’est pas là. De fait, plusieurs  praticiens ont fait part de leurs observations sur l’importance de l’IMC (Indice de Masse Corporelle) dans le développement de complications liées à l’infection du Covid.

En effet, les personnes en surpoids sont beaucoup plus fragiles face au Covid :

83 % des patients en réanimation sont en surpoids (lien ici)

Cette proportion se retrouve en France mais également au Royaume-Unis. Il est donc intéressant de prendre en compte les statistiques concernant l’IMC de la France et de la Thaïlande.

En France, pour les hommes on constate que le surpoids concerne 41 % de la population masculine. A cela s’ajoute également, 15.8 % d’individus obèses. Le total monte donc à 56,8 %.

Les françaises sont également concernées par cette problématique, mais dans une moindre mesure : le surpoids concerne  25,3 % et l’obésité 15,6 % soit 40,9 % des femmes (source ici).

En Thaïlande, si la question du surpoids et de l’obésité sont des sujets qui sont de plus en plus abordés, le constat n’est pas le même qu’en France. En effet, pour les hommes : le surpoids concerne  24.8% et l’obésité 7.2 % soit un total de 31.7 % des hommes thaïlandais. Pour les femmes : le surpoids concerne 14%  et l’obésité 3.6 % soit 17.6 des femmes thaïlandaises (source ici).

Le constat est donc sans appel. La population thaïlandaise est de loin bien moins concernée par le surpoids et l’obésité que la France. Pour les hommes l’écart est de 10 points, pour les femmes, la différence est encore plus flagrante avec des chiffres multipliés par plus de 2.

Mécaniquement, si une population est donc moins concernée par les questions de surpoids, elle diminue très significativement la probabilité de développer des complications liées au covid et par conséquent du nombre de décès.

Le paradoxe du tabac

Autre facteur qui est souvent cité la consommation de tabac. Le taux de prévalence par habitant est lui aussi un indicateur que l’on oublie pourtant de souligner. En effet la question de la consommation de tabac est assez paradoxale. La nicotine aurait un rôle ambivalent vis à vis du covid. Une compilation de données de patients atteint du virus montre que 80 % des patients atteint du Covid, ne sont pas fumeurs… De fait, ces données préliminaires suggèrent que la nicotine aurait un rôle protecteur face au Covid-19, mais aurait également un rôle probablement aggravant lorsque les personnes sont infectées par le virus (source ici).

Or, le taux de prévalence du tabagisme pour la France est de 27.6 %. Pour la Thaïlande, il est de 21.3 %. Le nombre moyen de cigarettes fumées par habitant est de 993 et de 895 pour les thaïlandais. L’écart entre les deux pays n’apparait pas significatif. A ce stade, la variable tabac ne peut pas être considérée franchement comme une piste à suivre concernant l’explication des chiffres thaïlandais. Ce point doit cependant rester en suspend. Il sera sans aucun doute réinterrogé à la lumière de nouvelles observations.

Les méthodes prophylactiques

C’est actuellement le point qui fait le plus débat. Dans quelle mesure les méthodes prophylactiques (masque et proxémie) ont-elles joué un rôle dans la diffusion du Covid-19 ?

Le port du masque

Le débat sur le port du masque a longtemps fait rage, pour aboutir à un consensus général. La France et plus généralement les pays occidentaux ont fait preuve pendant plusieurs semaines de réticence concernant le port du masque. Que ce soit l’OMS ou bien encore de nombreux spécialistes, tous ont trouvé des contre-arguments concernant cette prophylactique. De fait, deux cultures se sont opposées.

D’un côté, la Thaïlande, avec une culture forte du port du masque. Dès qu’une personne se sent ou se sait malade, elle porte un masque afin de protéger les autres. Il n’y a pas de jugement donné, pas de condamnation par rapport à cette pratique, bien au contraire. Le port du masque est une pratique assez commune et qui est adopté sans aucun problème et ceci bien avant l’arrivée du Covid-19.

De l’autre, les culture occidentales qui ne voient dans le masque qu’une protection. On doit le mettre dans un cadre déterminé et surtout il ne se porte pas dans un espace public.

Du coup, d’un côté, on affiche son état de santé, de l’autre, on ne le montre pas. Le masque étant un stigmate, une manifestation claire de la maladie qui doit être tue dans un espace public. Il y a ici une dimension anthropologique claire qui dans l’avenir sera sans aucun doute étudiée à travers la problématique générale du montrer/cacher, protéger/se protéger, etc.

… la pollution facteur de protection ?

Il y a cependant un élément à prendre en compte qui pourrait éclairer la prédominance du port de masque au moment de l’arrivée du covid-19 en Thaïlande. En effet, si les premier cas de contamination apparaissent, selon les autorités chinoises, fin décembre, les autorités thaïlandaises n’ont pas réagi de suite (comme l’ensemble de la communauté internationale). Il n’y a pas eu d’appel à porter le masque directement. Mais le mois de janvier en Thaïlande correspond au mois où la pollution est la plus élevée (voir l’historique des statistiques ici). Or, depuis quelques années, les habitants des grandes agglomérations ont pris l’habitude de se préserver des microparticules (PM 2.5) en adoptant le port du masque.

Cette augmentation cyclique de la pollution est due à plusieurs facteurs. Cependant, dès le mois de décembre, c’est lé début de l’écobuage et de la culture sur brûlis lors de la récolte de la canne à sucre (voir ici). Ainsi, les mois de décembre, janvier et février sont la pleine période pour ce genre de pratiques agricoles. La quantité de microparticule dégagée est alors extrêmement élevée.

En conséquence, on pourrait se demander si les vagues de pollution n’ont pas joué paradoxalement un rôle dans la mise en place de pratiques prophylactiques qui ont limité la propagation du covid-19.

La distanciation sociale : la proxémique

Autres pratiques et autres conséquences : la distanciation sociale plus connue en sciences humaines sous le terme de proxémique ou proxémie. L’anthropologue Edward T. Hall est le père de ce paradigme qui met en lumière la construction sociale et culturelle de l’espace dans les interactions humaines. Les formes de politesse et notamment les salutations illustrent parfaitement ce concept.

Ainsi, la manière de se saluer en Thaïlande ou en France diffère totalement. En effet, la France apparaît comme un pays plus tactile que la Thaïlande. Un simple bonjour se matérialise soit par une poignée de main, soit par la bise (2, 3 ou 4). Autant de contacts qui favorisent la transmission possible d’un virus. A l’inverse, la Thaïlande privilégie le waï pour se saluer : pas de contact entre les protagonistes.

Les distanciations sociales sont plus larges, plus distantes et sont tout autant des barrières efficaces contre la propagation d’un virus.

Autres données

Le facteur climatique : la chaleur et l’humidité

La chaleur et l’humidité seraient-elles les principaux facteurs qui limiteraient la propagation du virus ? C’est ce que pensent deux chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Dans un article intitulé Will Coronavirus Pandemic Diminish by Summer? publié le 19 mars 2020  (voir l’article ici en anglais), ils démontrent que :

90 % des infections se produisaient dans des régions où la température se situe entre 3 °C et 17 °C et où l’humidité absolue est de 4 à 9 grammes par mètre cube (g/m3). Conclusion : dans les pays où la température moyenne est supérieure à 18 °C et l’humidité absolue supérieure à 9 g/m3, le nombre de cas de coronavirus est inférieur de 6 % par rapport aux cas mondiaux. (lien ici)

Il s’avère que la Thaïlande a justement un climat qui est marqué par une chaleur  moyenne dépassant constamment les 17 °C. Il en est de même pour l’humidité. Le taux moyen pour les mois de décembre et janvier est entre 57 % et 28 % d’humidité.

A l’inverse en France, décembre et janvier sont les mois où les températures oscillent entre 3 °C et 17 °C. L’humidité étant par contre relativement élevée.

Compter, détecter et payer

Dernier point concernant le questionnement des chiffres thaïlandais : la question économique. En effet, donner le nombre de personnes infectées signifie que l’on a pratiqué des tests. Or faire des test à un coût. Si en Europe nombre de campagnes sont pris en charge par l’État, en Thaïlande la question est tout autre.

Le nombre de personnes testées est peu élevé. La raison est simple le coût. Il est nécessaire de payer entre 2000 et plus de 20000 baht - le salaire journalier pour un ouvrier à Bangkok est aux alentours de 380 baht. Cependant, si le nombre de personnes testées est somme toute réduit, les hôpitaux gouvernementaux et privés ne semblent pas à la peine vis à vis de la vague de contamination.

En conclusion

Le nombre de facteurs pouvant expliquer la différence entre la Thaïlande et la France est conséquent. Cependant, si nous avons isolé chacun d’eux, il se pourrait bien que ces facteurs entrent en interaction les uns avec les autres. De même qu’il y a sans aucun doute d’autres variables qui pourraient faire jour avec le retour des multiples observations réalisées actuellement et qui vont ouvrir sans aucun doute de nouvelles pistes d’explication.